Impermanence et changement
Ne pas voir l’apparition et la disparition est ignorance, tandis que voir tous les phénomènes comme impermanents, c’est la porte ouverte vers tous les états de réalisation
Ledi Sayadaw
Erudit et maître de méditation birman (début du 20ème siècle)
L’impermanence et le changement nous entourent absolument partout. A l’extérieur, les saisons changent, le soleil remplace la pluie… Dans les relations humaines, les enfants grandissent, il y a des relations amicales et des amitiés qui s’arrêtent, les couples se séparent … Nous constatons aussi ce changement en nous-même, la circulation du sang, la pousse des cheveux, le passage du souffle. Lorsque notre cœur arrête de battre nous mourrons. Le changement est constant. C’est lui qui rend la vie vivante et nous donne aussi la possibilité de changer.
Et pourtant, nous avons un travail personnel à faire pour intégrer dans notre comportement quotidien, inéluctabilité de l’impermanence. Nous passons notre vie à désirer et à nous faire croire que les choses durent. Et d’ailleurs, la société nous y encourage : avoir une maison, se stabiliser, poser sa vie, avoir un travail en CDI…
Mais cette façon de voir est LA grande illusion. La durée d’un phénomène reste une construction de l’esprit. Chaque chose que l’on perçoit n’est plus la même d’un instant à l’autre. Elle a changé même si on ne le remarque pas. Prenons une cascade : cette eau qui est en train de couler n’est pas celle qui a coulé l’année dernière. Et pas seulement celle de l’année dernière, mais celle de la seconde d’avant… et de la seconde d’avant ... Tous nos processus de vie vont de même. Tout change tout le temps. Il n’y pas une personne qui soit la même entre hier et aujourd’hui. Et même entre « il y a une seconde » et maintenant.
Alors, pourquoi est-on amené à croire qu’un phénomène dure ? Cela est dû aux conditions de son apparition. Si les mêmes conditions sont présentes, le phénomène va apparaitre à peu près de la même façon et nous avons l’impression d’un phénomène qui dure, c’est-à-dire qui n’a pas été modifié. La table n’a pas l’air d’avoir été modifiée depuis tout à l’heure. Et pourtant ses atomes ont changés … Mais une des conditions de la présence de la table est sa perception par nos yeux qui eux sont incapables de voir les atomes. La réalité nous paraît donc inchangée.
De même, chaque matin, nous nous réveillons et nous nous croyons identiques à nous même car nous sommes dans la même chambre avec la même apparence. Mais cela a changé et pour preuve, nous finissons par nous apercevoir que nous avons vieilli lorsque la lumière de la salle de bain est un peu différente et que nous remarquons une ride ou un cheveu blanc. Les draps s’usent, le matelas finit par être inconfortable… La réalité n’est jamais la même car les phénomènes ne sont jamais les mêmes. Mais nous la voyons comme solide et permanente, bien autrement que ce qu’elle est.
Notre façon habituelle de vivre nous amène à planifier, organiser et arranger les choses en essayant de tout maintenir dans la durée. Nous projetons notre avenir avec elles, en tenant compte de ce qu’elles sont dans notre présent. Mais finalement, la vie nous apprend que cela ne fonctionne pas et que tout change tout le temps. Dès que l'impermanence se manifeste d’une manière soudaine (la mort d’un être cher, une maladie, la perte d’un travail…), un sentiment de perte et d’insécurité génère en nous inconfort, stress voire douleur et souffrance. Notre avenir n’est plus si certain et cela réveille la peur viscérale de la fin, de la disparition et de la mort. Nous ne savons pas comment gérer cette peur et intégrer l’impermanence à notre vie, parce que nous n'y avons jamais réfléchi.
En réalité, si nous examinons de plus près, nous n’avons jamais rien contrôlé. Chaque jour apporte son lot d’événements imprévus auxquels nous devrons nous adapter au mieux en faisant tout pour préserver notre tranquillité. Et même ce corps que nous chérissons tant n’est pas contrôlable. Il tombe malade, il grossit, maigrit, vieillit… Il lui arrive ce qu’il lui arrive. Nous sommes au cœur d’un changement incessant que nous tentons tant bien que mal de maîtriser. Dès lors, notre insécurité et notre souffrance ne viennent pas de l’impermanence mais du fait qu’en voulant la contrôler, nous la rejetons et donc que nous sommes en lutte perpétuelle contre la réalité.
Réaliser cette illusion du contrôle et arriver à lâcher prise de l’attachement à la permanence des choses, c’est se mettre en harmonie avec la réalité. Ce n’est pas qu’une simple position intellectuelle mais une attitude intérieure qui change notre façon d’appréhender le monde et qui prend du temps à se réaliser. A un niveau plus profond, cela questionne l’image statique que nous avons de nous-même, les étiquettes que nous portons et auxquelles nous nous conformons, la réalité de ce « Je » que nous utilisons et qui est lui aussi en perpétuelle évolution. Nous ne pouvons pas nous souvenir des pensées que nous avions il y a cinq minutes. Nous avons effacé de notre mémoire la majorité des événements du passé et pour ceux qui subsistent nous nous les racontons de façon différente à chaque remémoration. De même que le corps, les pensées, les émotions, les états d’esprit changent tout le temps. Qui sommes-nous donc et pourquoi nous identifier à des processus que nous ne maîtrisons pas du tout ?
Ainsi, comme le dit le maître de méditation Ledi Sayadaw, la réflexion sur l’impermanence est la porte d’entrée de la connaissance de soi, de la réalisation personnelle qui seule offrira le refuge intérieur permettant de sécuriser notre vie.

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