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Le coin des KIDS

La Pousse de Riz,contes,enfants,philo,le coin des kids

Des contes écrits pour mes enfants,

pour leur raconter le monde ...

Des histoires à grandir

Un conte sur la vie, la mort et le cycle des naissances

L ' univers

Un matin à son réveil, l’Univers se sentit soudain épuisé. Il en parla au Temps son vieux compagnon avec qui il cheminait depuis le commencement. Lui aussi était très fatigué. Il n’osait pas le lui annoncer mais il y pensait déjà depuis un moment : il souhaitait s’arrêter.

L’Univers reçut un choc. D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, le Temps avait toujours été présent.

Certes, l’époque glorieuse de l’expansion était bien loin derrière eux. Que de fêtes ils avaient données tous les deux : il revoyait les feux d’artifices des soleils en explosion et le tourbillon coloré des robes des galaxies qui valsaient sur la voie lactée. Son ami le Temps était alors un tout jeune chef d’orchestre, encore un enfant, et sa baguette battait la seconde tellement énergiquement ! L’Univers se sentait alors des ailes et son chant s’élevait, majestueux et puissant au dessus de la voix des instruments.

Plus...

Ils auraient bien continué jusqu’à l'éternité dans cette vie de bals et de fêtes mais sans qu’ils s’en aperçoivent vraiment, très insidieusement, l’Univers avait changé. Son expansion s’était ralentie puis s’était inversée et l’Univers lentement avait commencé à se rétracter. Et maintenant voilà que le Temps, voulait s’arrêter ! Quelle étrange idée ! songeait l’Univers. Je suis l’Espace et sans le Temps, comment fabriquer le présent ? Il regarda son ami qui soulevait avec tellement de peine sa baguette. Les secondes en étaient toutes ralenties. Et c’est ainsi que l’Univers comprit que la vie qu’il connaissait était presque finie. Il rassembla les forces qui lui restaient encore et entonna le chant le plus poignant de sa longue existence en direction de l’espace profond. Il se mourrait.

 

Depuis qu’il était en récession, il fallait bien se rendre à l’évidence, la voix de l’Univers s’était beaucoup affaiblie. Elle parvenait comme un murmure auprès des galaxies, les galaxies qui ne tourbillonnaient plus dans leurs robes colorées sur la voie lactée, les galaxies qui elles aussi s’étaient ralenties. L’une d’elle pas trop lointaine entendit le chant de l’Univers et rapporta ses paroles à ses voisines. Ainsi de proche en proche, la nouvelle atteignit le cœur de l’espace profond. Et toutes les galaxies se mirent à répéter à l’unisson le message d’adieu de l’Univers.

 

Car pour elles aussi, cela avait changé. En leur sein, les planètes avaient vieilli. Oh, elles se fardaient toujours le matin dans la lumière des soleils levants mais elles avaient de plus en plus de mal à camoufler les rides de leurs terres desséchées. Car les neiges avaient fondu et les mers s’étaient évaporées. Le rythme de leurs saisons s’était peu à peu affolé et leur nord oscillait sur un axe détraqué. Une inquiétude grandissait et empoisonnait l’atmosphère des galaxies. Les planètes s’agitaient et se racontaient leur grand souci.

Elles parlaient des soleils qui les avaient accompagnés toute leur vie et de cette maladie inconnue qui les avait envahis. Au début, les soleils avaient tellement enflé que leurs couronnes gigantesques avaient brûlé les terres habitées. Puis, ils s’étaient ratatinés. Leur lumière, autrefois dorée, était devenue rouge si foncée que les planètes distinguaient à peine leurs traits quand elles se fardaient dans les rayons du matin. Maintenant, toute chaleur les avait quittés. L’énergie formidable qui les avait toujours animés semblait les avoir abandonnés et les planètes tremblaient de froid à leur côté.

Tout cela n’est pas bon, se disaient les planètes entre elles, pas bon pour les lunes, les montagnes et les mers, pas bon pour tous les Êtres Vivants abrités sur nos terres.

 

Dans les villes géantes des fonds des mers, dans les métropoles enfouies sous les terres, au cœur des grandes stations orbitales multiraciales, partout où ils s’étaient réfugiés pour échapper aux dérèglements des soleils, les Êtres Vivants observaient la fin de l’Univers. Drôles de créatures que les Êtres Vivants ! Ils étaient tellement nombreux et si différents que les planètes ne pouvaient plus les compter depuis très longtemps. Il y en avait tellement ! Cependant, entre eux, les Êtres Vivants se reconnaissaient immédiatement. Oh, cela n’avait pas toujours été si évident. On pouvait même dire que cela avait pris du Temps, d’innombrables années lumière pendant lesquelles ils s’étaient entretués férocement… Jusqu’au jour où survint la révélation. On ne sait pas vraiment comment. Peut-être grâce aux machines qu’ils avaient fabriquées et qui les avaient beaucoup aidés ? Un jour donc, leurs consciences se reconnurent et ils se virent comme ils étaient vraiment : des consciences dans des boîtes qu’elles avaient bien du mal à faire fonctionner. Finalement, ils se sentirent tous semblables, enfermés dans ces boîtes-corps pas toujours bien terminées qui naissaient un matin et mourraient un soir dans un cycle infiniment répété. Alors, ils se reconnurent et arrêtèrent de se donner des noms différents. Entre eux, ils se nommèrent tout simplement, les Êtres Vivants.

 

Les Êtres Vivants donc s’étaient rassemblés en conseil extraordinaire. Ils avaient bien compris le chant de l’Univers. Et tous du plus simple d'esprit au plus intelligent, cherchèrent une solution à la grande question : comment survivre à la fin du Temps? Il y eut beaucoup de théorie. Les scientifiques calculèrent, les philosophes réfléchirent, les religieux prièrent et tous attendirent. Et pendant ce temps, le chant de l’Univers allait s’affaiblissant. Il fallait faire vite. Il n’y aurait bientôt plus d’Espace-Temps. Qui parmi les milliards de milliards d’Êtres Vivants apporta la réponse ? Sans doute était-il plus sage que les autres, un arbre millénaire ou un ermite centenaire ou même un de ces grands hybrides des planètes animalières ? En tous les cas, cet Être Vivant là prit la parole et le silence tomba au sein du conseil extraordinaire.

 

- Mes amis, déclara-t-il d’une voix résolue, mes amis, les temps sont venus : le cycle des vies et des morts touche à sa fin. Les boîtes-corps qui nous contiennent vont disparaître toutes en même temps. Et cela dégagera une telle énergie que nos consciences réunies pourront se transporter hors de l’Espace-Temps, dans le paradis que nos légendes ont si souvent décrit. Suivez-moi. Quand le moment sera venu, je vous monterai le chemin. 

Il parlait avec beaucoup de conviction et les esprits interconnectés des Êtres Vivants n’eurent aucun doute sur sa sincérité. Mais tous ne le crurent pas vraiment. Les ingénieurs continuèrent à perfectionner des machines et les intellectuels à échafauder des théories. Seul un petit nombre d’entre eux eut envie de lui faire confiance. Ils le prirent pour guide et unirent leurs esprits au travers les galaxies pour tisser une toile protectrice autour de lui. Quelques planètes les rejoignirent. Elles entraînèrent leur soleil et tout un ensemble de comètes qui gravitaient dans leur voisinage. Et tous attendirent.

- Que devons-nous faire ? demandait parfois un impatient ?

- Attendre et méditer, répondait tranquillement le guide.

Et ainsi firent-ils.

 

Sur la grande scène de l’Univers, le Temps lança un regard d’adieu à son ami l'Univers et lâcha sa baguette. Dans un éclair l’Univers disparut. Dans l’instant, les boîtes-corps des Êtres Vivants furent anéanties et l’énergie des consciences se libéra immédiatement. Alors le guide fit comme il l’avait dit. Il transporta son esprit sur le flot d’énergie jusqu’au paradis extraordinaire que les légendes avaient décrit. Et il emmena avec lui tous ceux qui avaient eu confiance et qui avaient uni leurs consciences dans le flux tranquille de sa méditation.

 

Ce n’était pas gris, ce n’était pas noir, c’était sans couleur, ni son, ni douleur. Il n’y avait pas de longtemps puisqu'il n’y avait pas de temps. C’était le paradis. Dans cet ailleurs, les consciences s’effleuraient et se comprenaient comme si elles ne faisaient plus qu’un. Et tous existaient intensément. C’était le paradis…

Sauf que…

Sauf que les galaxies avaient la nostalgie des valses dans les robes colorées sur la voie lactée, les soleils regrettaient les explosions en feux d’artifices et les planètes se désespéraient de ne plus se voir belles dans la lumière dorée des matins. Quant aux Êtres Vivants, faut-il le dire, les boîtes-corps leur manquaient. Aussi imparfaites et inachevées qu’elles aient été, elles leur laissaient le souvenir des sensations, des joies et des peines, et de cette quête insensée pour leur échapper qui donnait un sens à leur existence.

Le guide ressentit la détresse confuse qui émanait des consciences autour de lui.

- Vous voulez retourner là-bas ? leur demanda-t-il. Là où nous sommes, il est possible d’exaucer les désirs les plus chers.

Et du paradis, il fit surgir une bulle, irisée et translucide, qui se mit à enfler comme une noix, puis une orange, puis un ballon. Au centre de la sphère s’agitait un tout jeune Temps qui battait frénétiquement la seconde avec sa baguette alors qu’un Univers encore hésitant faisait ses premières vocalises au milieu de l’orchestre. La voie lactée était tout juste terminée et les galaxies adolescentes s’élançaient pour la première valse du bal des débutantes.

Au sein du paradis, les esprits s’agitaient.

- On y va, on y va ! scandaient les plus impatients.

- Doucement, disait le guide, pas maintenant, attendez un peu, il est encore bien trop tôt !

Mais les consciences étaient bien trop pressées de retrouver leur Espace-Temps. Elles se précipitèrent en foule vers la bulle qui les happa instantanément. Le dernier esprit à quitter le paradis se retourna vers le guide et lui lança :

- Vous ne venez pas ?

- Non, je reste, répondit le guide. J’ai trouvé ce que je cherchais. Bonne chance à vous.

 

Dans l’Univers naissant, les soleils explosaient en jets incandescents. Les planètes tournaient sur elles-mêmes comme des toupies folles. Certaines n’étaient encore que des boules de laves qui se cherchaient un compagnon. Sur d’autres, la pluie du refroidissement recouvrait les terres d’un immense océan. Les temps étaient loin où elles admireraient leur beauté dans la lumière dorée des matins.

Les Êtres Vivants se précipitèrent vers boîtes-corps accueillantes qui devaient les abriter. Dans un éclair, leurs consciences se rétrécirent pour s’adapter aux dimensions exiguës de leur nouvel environnement. Ils eurent un bref regret des connaissances magnifiques qui s’obscurcissaient et oublièrent définitivement le paradis. Heureux de se retrouver, ils se rassemblèrent et commencèrent leur première journée.

Une colonie d’organismes unicellulaires flottait paresseusement entre les eaux tièdes d’un immense océan. Le cycle des vies et des morts recommençait.

Moins...
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Un conte sur l'identité et la connaissance de soi

La quête de

l'étoile

Quelque part, au cœur de l’espace lointain, vivait une petite fille ordinaire, avec un père et une mère et des frères et sœurs qui remplissaient la maison. Elle avait des cheveux d’or avec des petits tortillons sur les bouts et des yeux transparents comme un ciel d’été. Ses joues avaient la fraîcheur de la porcelaine rosée. Elle était si jolie que lorsqu'elle était née, ses parents très fiers l’avaient appelée Claire. 

Son père était un soleil qui se levait tôt le matin, bien avant qu’elle ne se réveille. Elle ne le voyait pas très souvent parce que son travail était très important. C’était lui qui était chargé de chauffer la terre pour faire pousser les blés. Il avait aussi la responsabilité des vacances et des étés. Pour peu qu’il fût un tantinet négligeant et les saisons étaient gâchées : les neiges se mettaient à fondre en plein hiver ou les hommes grelottaient au milieu du mois de juillet. Mais tout cela n’était pas très fréquent car en général, il faisait attention. Il réservait ses plus dangereux rayons aux déserts et se faisait plus doux sur les terres habitées.

Plus...

Après tous ces efforts, quand arrivait le soir, il était souvent très fatigué. Alors Claire mettait un soin spécial à être particulièrement attentionnée. Elle lui apportait son journal et lui préparait une tasse de thé. Ensuite elle s’asseyait sur ses genoux pendant qu’il caressait ses boucles dorées. C’était son moment préféré.

La mère de Claire était une lune ronde, une de celles que l’on aperçoit même quand il fait jour. Très active, elle décidait des marées, déclenchait la naissance des bébés et faisait repousser les cheveux quand on les avait coupés. Avec sa chevelure d'argent, elle était si belle que les poètes du monde entier étaient amoureux d’elle. La nuit, quand elle s’habillait pour sortir, elle rayonnait d’une lumière blonde qui veillait doucement sur les terres endormies.

Les frères et les sœurs de Claire étaient des étoiles. Plus tard, quand ils seraient grands, ils deviendraient des soleils pour les garçons et des planètes pour les filles. Comme tous les enfants, ils aimaient beaucoup jouer et dans la maison pleine de monde, ils riaient et dansaient la sarabande. Dans les appareils compliqués des astronomes, cela faisait comme une musique qu’ils essayaient de déchiffrer. Mais bien qu’ils fussent des gens très savants, ils n’y étaient pas encore arrivés. Les jeunes étoiles n’étaient pas très obéissantes et parfois le soir, elles chahutaient en refusant de se coucher. Alors partout sur la terre, on pouvait observer des pluies d’étoiles filantes qui illuminaient le ciel de la nuit. C’était très joli.

Un soir de tempête et de grand vent, une grand-mère comète frappa à la porte. Sur la poussière de sa queue, elle portait un paquet encombrant enroulé dans une couverture. On la reçut très respectueusement car les comètes, bien qu’un peu sauvages, étaient des personnages importants. C’était elles qui transmettaient les messages entre les maisons éloignées. Sans leurs passages réguliers, la famille de Claire aurait été bien isolée. Personne ne sut ce que les grandes personnes se dirent très exactement. Mais le lendemain, une surprise attendait les enfants. A la table du petit déjeuner, il y avait une assiette de plus et, derrière cette assiette, était assise une petite fille. Elle baissait la tête sur ses céréales mais on devinait que c’était une fille à cause de ses longs cheveux noirs qui cascadaient en vagues jusqu’au sol et cachaient son visage. Mais ce fut quand elle leva la tête que les enfants furent le plus étonnés, jusqu’à s’arrêter de respirer. A la place du nez, des yeux et de la bouche, il n’y avait… rien. A sa naissance, toutes les fées, des sans grades qui dessinent uniquement les contours, jusqu’aux reines qui fignolent les détails en attribuant grâce et beauté, toutes les fées donc, l’avaient oubliée. La figure de la petite fille n’était qu’un rond colorié uniformément sombre et lisse. A peine pouvait-on deviner sur la peau brune, des traits un peu plus foncés pour représenter la bouche, les yeux, le nez. Les frères et sœurs de Claire poussèrent un cri et s’en allèrent, tandis que l’enfant se levait brusquement en bousculant l’assiette qui éclata par terre. Elle recula contre le mur et y resta adossée, immobile, épinglée comme un papillon dans une vitrine. Alors dans le cœur de Claire monta une grande pitié. Elle s’approcha de la petite fille défigurée et doucement lui saisit la main.

- Je m’appelle Claire, et toi ?

- Moi c’est Nora. Je suis un trou noir, murmura tout bas l’enfant.

Au début, Nora n’osait pas se mêler aux jeux, puis comme personne ne remarquait plus son visage, elle finit par se laisser entraîner. Elle s'entendait bien avec tous les enfants mais c'était Claire sa préférée. Nora avait des idées extraordinaires comme la ronde de la gravité : elle se mettait au centre de la pelouse et les petites étoiles se donnaient la main en faisant un grand cercle autour d'elle. Alors, elle commençait à danser. Ses cheveux noirs l'entouraient comme une corolle et, peu à peu, les enfants se sentaient attirés. Plus elle tournait vite et plus la ronde se rétrécissait. Quand on la touchait, on perdait. C'était très amusant ! Nora était aussi très forte pour toutes les parties de cache-cache. Elle se glissait dans un coin sombre et il était impossible de la retrouver. On pouvait passer et repasser devant sa cachette sans jamais la remarquer, même quand on regardait très attentivement dedans. Elle ne réapparaissait qu'au moment du goûter, toute contente d'avoir encore gagné. Ce fut pendant une de ces après-midi que Claire comprit que Nora n'était pas heureuse.

- Nora ? C'est toi Nora ? appela-t-elle doucement.

En réponse, il n'y eut qu'un reniflement plus fort que les autres. Alors, elle tendit le bras pour la toucher. C'était bien Nora.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Quelqu'un t'a fait de la peine? Un de mes frères t'a encore bousculée ?

- Nnnon…

- Alors qu'est-ce qui ne va pas ? Allez, dis-le moi… Et pour l'encourager et puis aussi la consoler un peu, elle lui fit un petit bisou sur la joue.

- Je voudrais un vrai visage, comme toi ! lâcha enfin Nora. Je ne veux plus être un trou noir que personne ne voit. Et ses pleurs reprirent de plus belle.

La question était d'importance et Claire en fut d'abord toute désemparée. Mais comme elle l'aimait énormément, elle essaya de trouver une solution.

- Ecoute, lui dit-elle. Ce soir quand père sera rentré, j'irai lui parler. C'est un soleil très lumineux, il aura certainement une idée.

Après sa journée, le soleil se reposait dans un fauteuil. Il écouta attentivement sa fille avant de se mettre à soupirer :

- Nora est un trou noir et aucun trou noir n'a jamais eu de visage ! Certes, les vieilles comètes racontent bien des histoires sur des trous noirs qui deviendraient des planètes. Mais ce ne sont que des légendes de bonne femme. En tous cas, depuis que je brille, je n'ai jamais rien vu de tel. C'est impossible ! conclut-il en se replongeant dans son journal.

Claire ne se laissa pas décourager et puisque son père n'était pas disposé à l'aider, elle s'en alla trouver sa mère. La lune était très occupée à démêler une grave affaire de premier et de dernier quartier. Aussi prêta-t-elle une oreille distraite à la question de sa fille.

- Voyons Claire, Nora est un charmant petit trou noir. Elle a des cheveux magnifiques. Elle n'a aucun besoin de changer. Au lieu de vous mettre des idées saugrenues dans la tête, allez donc vous amuser !

Alors Claire se dit que décidément, les grandes personnes ne comprenaient pas les choses importantes. Le même soir, on entendit des chuchotements dans la chambre des enfants tard dans la nuit. Et le lendemain, Claire et Nora s'étaient enfuies. Elles avaient profité du passage d'un astéroïde vagabond pour quitter la maison. Avant de s'en aller, elles avaient laissé un petit papier sur la table de la salle à manger. “ Nous partons chercher un visage pour Nora. Ne vous faites pas de soucis. Nous reviendrons bientôt ”. Et c'était signé : “Claire et Nora ”. Les parents de Claire furent extrêmement inquiets. Pendant plusieurs jours, le soleil souffla un vent puissant pour avertir toutes les comètes voyageant dans les environs. Nos deux enfants ont disparu. Les avez-vous vues ? La lune, très affectée, se retira dans sa chambre en se reprochant de n'avoir pas su écouter sa petite étoile préférée. Bien sûr, sur la terre, cela créa beaucoup de perturbations.

Pendant ce temps, Claire et Nora commençaient leur expédition à travers la galaxie. Nora avait raconté leur histoire à leur guide astéroïde et celui-ci s'était pris d'affection pour les enfants. Aussi en vieux routier de l'espace, il déjoua tous les barrages mis en place pour les rattraper. Et il les déposa au cœur d'une nébuleuse éloignée, dans un nuage de gaz qui empêchait de les identifier.

- Adieu petit trou noir. Il vaut mieux un visage laid et cabossé comme le mien que pas de visage du tout. Je te souhaite bonne chance ! dit-il en les quittant.

Les petites filles se sentirent un peu seules tout à coup. Pour se réconforter, elle se prirent par la main et s'avancèrent vers le centre du nuage.

- Qui ose troubler mon sommeil ? rugit une voix énorme provenant d'on ne sait où. J'espère que vous avez une bonne raison, sinon…

Les enfants furent très effrayées. Claire serra plus fort la main de Nora et répondit :

- Nous cherchons un visage pour Nora. Pouvez-vous nous aider ?

- Qui est Nora ? gronda la voix.

- C'est moi, dit Nora en avançant d'un pas. Mais où êtes vous ?

- Je suis partout. Je suis le nuage. Ainsi, c'est toi Nora ! Il y avait très longtemps que je n'avais pas vu de petit trou noir dans les parages. Ecoutez bien toutes les deux ! Un visage, ça se mérite. Peut-être que le temps vous le donnera. Maintenant allez-vous en …

Et le nuage résonna si fort que Claire et Nora battirent en retraite précipitamment. Maintenant les enfants avaient une piste. Le temps ! Il n'y avait qu'à le trouver et le voyage serait terminé. Mais où donc pouvait bien se cacher le temps ? Elles étaient tellement perplexes qu'elles faillirent se faire renverser par un bolide brillant qui fonçait sur la voie lactée.

- Holà ! dit le personnage en freinant brusquement. Vous ne pouvez pas faire attention ! Vous êtes sur une voie à grande circulation.

- Excusez-nous, dit timidement Claire. Nous ne vous avions pas vu !

- Pas vu, pas vu ! Pourtant il me semble que je suis très remarquable ! En tant que Satellite Principal des Communications, je suis fort vexé.

Et le satellite prit un air boudeur en battant des antennes.Claire et Nora furent bien ennuyées. Elles ne voulaient pas lui faire de peine. Et c'était vrai qu'il était magnifique avec tous ces miroirs qui étincelaient en projetant des pinceaux de lumière dans toutes les directions. Alors, pour qu'il ne reste pas fâché, elle lui expliquèrent :

- Vous comprenez Monsieur le Principal, nous cherchons où habite le temps. C'est pour une question d'extrême importance.

- Le temps, dit le satellite encore grognon. Celui-là ne m'en parlez pas ! Il a fait rouiller mes roulements et depuis mon antenne gauche grince par moments.

- Alors vous l'avez rencontré ! s'exclama Nora pleine d'espoir.

- Comme tout le monde, répondit le satellite en haussant les épaules. Mais qu'est-ce que vous lui voulez donc au temps ?

- Nous voulons lui demander un visage pour Nora.

- Ce n'est que cela ! Mais il fallait le dire tout de suite ! Vous n'avez pas besoin de lui ! Moi je peux lui en fabriquer un de visage, à Nora !

Et en pirouettant sur lui-même, il dirigea ses antennes sur le cercle sombre qui représentait le visage du petit trou noir. Alors avec les faisceaux de lumière, il façonna une figure de rêve, avec des yeux de ciel profond, des joues de pétales de roses et des lèvres coquillages. Jamais aucune étoile n'avait été plus belle.

- Oh Nora, tu es magnifique ! balbutia Claire très émue. Merci Monsieur le Satellite Principal des Communications ! Nous vous serons éternellement reconnaissantes.

- Ce n'était rien ! dit le satellite en se pavanant. J'ai un certain talent pour l'illusion. La prochaine fois, n'hésitez pas à faire appel à moi! Au revoir mes jolies! Et dans un grand vrombissement, il s'élança sur la bande d'accélération.

- Ça y est Nora ! Nous pouvons rentrer à la maison ! commença Claire.

Mais en se tournant vers Nora, sa voix mourut subitement. Maintenant qu'il n'était plus environné de lumière, le visage du petit trou noir avait repris son aspect premier. Et seules deux larmes rondes brillaient encore sur la peau foncée.

- C'est raté, constata Claire tristement en entourant les épaules de Nora d'un geste protecteur. Mais ne t'en fais pas, Nora. Nous allons y arriver. Nous allons trouver le temps. Le nuage l'a promis, c'est lui qui nous aidera.

Et elle parcoururent l'espace immense dans tous les sens, interrogeant sans relâche les habitants, si touchantes et si acharnées qu'elles en devinrent une légende. Depuis longtemps, les recherches s'étaient arrêtées. La lune et le soleil avaient de leurs nouvelles de loin en loin et devant tant d'obstination, ils ne se donnaient pas le droit d'intervention. Claire et Nora avaient gagné leur liberté. Elles s'en allèrent ainsi jusqu'à la frontière de l'univers, jusqu'à l'endroit où un phare aveuglant leur ordonna d'une voix de commandement :

- Stop ! On ne va pas plus loin !

- Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? demanda Nora.

- Ce sont les ordres, répondit le phare. Je suis un pulsar et avec mes frères nous montons la garde aux portes de l'univers. Nos éclats de lumière avertissent du danger, les voyageurs imprudents tels que vous. Ne nous dépassez pas ! Après nous, il n'y a plus rien.

Claire se pencha un peu en avant et vit que le pulsar disait la vérité. Elles avaient atteint le bout du chemin et elles devaient maintenant songer à s'en retourner.

- Oh Nora ! gémit-elle, je suis si désolée. Jamais nous ne te trouverons de visage !

- Ne sois pas triste Claire, répondit doucement Nora. Ce n'est peut-être plus si important que cela. Nous avons fait un magnifique voyage et tout ce que nous avons vécu ensemble vaut bien un visage. Viens, rentrons à la maison maintenant…

- Qui parle d'abandonner ? s'exclama soudain une voix rieuse derrière elles.

Elles se retournèrent brusquement. Une planète bleue les contemplait avec des yeux joyeux. Claire la reconnut. C'était une mer nourricière, une de ces planètes privilégiées dont l'océan profond fabriquait la vie. Dans le monde des constellations, les mers avaient un don spécial et ce secret leur donnaient une sérénité tranquille. Aussi étaient-elles très vénérées et leurs conseils avisés étaient toujours écoutés.

- Vous avez trouvé ce que vous cherchiez mais vous ne le savez pas encore, continua la planète en souriant gentiment. Regardez-moi bien toutes les deux !

Un peu étonnées mais obéissantes, Claire et Nora plongèrent leurs regards dans les eaux bleues de la planète mer. Et cela fut comme si un grand miroir leur renvoyait leurs images. Dans les reflets changeants du grand océan, deux visages inconnus les contemplaient. Et ces deux visages se ressemblaient. Claire, la petite étoile dorée, était devenue une magnifique lune blonde, tandis qu'à ses côtés se dessinait une splendide planète brune, à la peau mate et aux yeux foncés. Croyant à une illusion, elle quittèrent la mer des yeux et se regardèrent avec attention. Le visage de Nora était la réplique brune de celui de Claire. Alors, des larmes d'une joie immense roulèrent sur leurs joues. Et elles surent que leur quête était terminée.

- Mais comment avez-vous fait ? demanda Claire, perdue dans la contemplation de ces deux figures si identiques et si différentes à la fois.

- Ce n'est pas moi, dit la planète avec amusement. Vos visages sont l'ouvrage du temps. Doucement sans que vous le remarquiez, il vous a fait grandir. Je ne suis que son instrument. On peut dire que c'est aussi la récompense d'une si grande obstination. Quand on désire quelque chose d'essentiel aussi fort que vous l'avez désiré, on ne peut pas vraiment échouer.

Le grand voyage était achevé. Claire et Nora retrouvèrent le soleil et la lune, un peu vieillis mais très fiers de la réussite de leurs enfants. Et l'on vit bientôt dans la constellation une nouvelle planète brune, accompagnée d'une lune blonde, prendre leur place parmi les habitants.

Alors se passa un phénomène extraordinaire. De toutes parts à travers le grand univers, les comètes colportèrent la légende de Claire et Nora. Elle arriva jusqu'aux pulsars des frontières qui se réjouirent quand on la leur conta. Et c'est ainsi qu'aujourd'hui, cette histoire habite encore les mémoires. Et que toutes les lunes du monde endorment leurs enfants le soir, en racontant la quête d'une étoile blonde pour un petit trou noir.

Moins...
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